Wabash Outlaws : l’avant garde du basketball afro-américain à Chicago

Le 07 août 2025 à 17:37 par David Carroz

Wabash Outlaws - l’avant garde du basketball afro-américain à Chicago
Source image : TrashTalk via ChatGPT

Dès 1893, le basketball est présent sur les rives du Lac Michigan, ayant fait son chemin depuis Springfield via les YMCA. À Chicago, sa pratique – surtout à l’école – est intégrée lors de la bascule entre les deux siècles. Pas de quoi faire rêver les Afro-américains qui préfèrent le baseball. C’est finalement un incident racial qui va booster sa popularité et propulser ensuite les Wabash Outlaws au sommet du basketball, source de fierté de leur communauté.

Pourtant, sans pouvoir parler d’égalité raciale, Chi-town n’a pas la réputation d’être un lieu particulièrement difficile pour la communauté afro-américaine en ce début de vingtième siècle. Ce constat d’ouverture reste tout de même relatif dans une Amérique ségréguée et dans une ville où l’emploi des Afro-américains comme briseurs de grève modifie les rapports raciaux. Avec la première vague de la Grande Migration débutée en 1910, les Afro-américains – désireux de rejoindre le Nord pour trouver du travail et fuir le Ku Klux Klan – se tournent vers Chicago, suite aux appels du Chicago Defender, journal de la communauté populaire dans le Sud également.

Une alternative à New York, symbolisant plus le succès de la communauté Afro-américaine à cette époque, comme en atteste la présence Jack Johnson – champion du monde des poids lourds – à Chi-town. Et en attendant que Harlem fasse sa Renaissance. Une opportunité dans une ville présentée comme la plus tolérante du pays, avec la constitution de l’État considérée comme progressiste. Les Afro-américains en sont persuadés : s’il y a un endroit où réussir, c’est à Chicago.

Cette migration remet en cause l’équilibre établi. L’accès au logement et à l’éducation se tend. L’indifférence – longtemps le sentiment prédominant – se transforme en rejet. Les tensions apparaissent. Au basketball, cela se matérialise en novembre 1913 lorsque Evanston High School refuse d’affronter le lycée de Lane Tech et sa star afro-américain Virgil Blueitt. Lane Tech fait front derrière Virgil et l’arbitre leur donne la victoire par forfait, confirmant le règlement : la ségrégation n’a pas sa place dans le sport. Était-ce une simple stratégie de la part d’Evanston pour affaiblir leur adversaire ? L’hypothèse existe, mais la tendance ne la valide pas. D’une part parce que cet incident, au lieu de tourner réellement en faveur des Afro-américains, entraîne de nombreux autres refus de la part des équipes blanches. Mais aussi car lors des mois précédents, d’autres membres de la communauté afro-américaine ont été agressés alors qu’ils souhaitaient tâter de la balle orange dans les parcs de la ville.

Wabash Avenue YMCA Chicago IL

Parmi les victimes chassées des playgrounds, les pensionnaires d’une toute nouvelle YMCA, celle de la Wabash Avenue dans South Side. Inaugurée en juin 1913, elle est une bénédiction pour les ballers du quartier. Dès son ouverture, tous les athlètes Afro-américains du coin viennent profiter des installations et du cadre mis en place, malgré les comportements racistes subis par l’institution et ses membres lorsqu’ils se trouvent en dehors de South Side. Dans ce groupe, on trouve Virgil Blueitt de nouveau. Arrivé dans l’Illinois au début du siècle lorsque ses parents ont fui la violence et les lynchages du Kentucky, il représente parfaitement cette communauté à Chicago dont 80% des membres sont issus de migration interne.

Malgré les tensions et certains boycotts lorsqu’ils quittent South Side, Blueitt et ses coéquipiers commencent à se faire un nom en bottant des fesses. Ce blaze : les Outlaws, choisi pour leur équipe à partir de 1914. Le Black Five trouve des adversaires dans tout Chicago, sans se limiter à leur communauté. En deux saisons, les trophées s’accumulent, Chicago d’abord, l’Illinois ensuite, le Midwest enfin. Qui pouvait s’attendre à un tel raz de marée pour les premiers pas du basketball au sein de la YMCA de Wabash Avenue ? Certes elle brasse du monde – en 1917 avec plus de 1500 membres, elle est la plus grosse du pays pour cette communauté -, certes elle dispose d’un gymnase de qualité. Mais des résultats aussi bons et aussi vite, no way.

Avec les victoires, le Black Five de Wabash devient rapidement la fierté de la communauté, ravie de voir ses ouailles briller. La renommée finit par dépasser les frontières de l’État puisque Will Anthony Madden, l’un des boss du basketball afro-américain à New York, sent qu’il y a du business à faire en se frottant aux petits gars de la Wabash Avenue.

New York vs Chicago, une rivalité qui ne fait que débuter et dont le basketball n’est qu’un exemple illustrant les différences entre les deux villes. Le style est plus dur dans l’Illinois à l’époque. Tout comme aujourd’hui. Un héritage dû au contexte. Quand à NYC les matchs sont disputés dès les années dix  dans une esprit plus large de socialisation avec musique et danse lors de l’événement – imposant un minimum d’élégance et de retenue – à Chi-town ils sont bien plus une question de fierté, de domination. L’autre écart majeur, c’est qu’à New York la pratique reste très largement ségréguée, ce qui implique une moindre portée raciale qu’à Chicago.

Will Madden met donc sur pieds le déplacement des joueurs de la YMCA à Big Apple, une façon pour lui d’appuyer sa vision du futur : une ligue professionnelle avec des équipes dans plusieurs états. Le 29 mars 1917, les Chicagoans sont bien à New York, un record de distance parcourue à l’époque pour une confrontation entre deux Black Fives. Les Incorporators de Madden s’imposent au Manhattan Casino quelques jours avant l’entrée en guerre des USA. Un conflit auquel de nombreux Afro-américains prennent part, mais dans des régiments à part, dirigés par des Blancs. Un rappel de plus, en cette année 1917 marquée tristement par les émeutes meurtrières de East St. Louis dans l’Illinois, que l’intégration n’est qu’une chimère. Si bien que lorsque les Incorporators de Will Madden se pointent avec deux Blancs dans l’équipe à Chicago pour la revanche au moment de Noël, la pilule a du mal à passer. Tout comme la nouvelle défaite.

Puis pratiquement aussi vite que les Wabash Outlaws ont atteint les sommets, ils retrouvent l’anonymat. La stabilité des équipes n’est pas la norme et la vie éloigne les joueurs. Pourtant, ils demeurent tous bien entassés dans South Side, les frontières raciales se faisant de plus en plus sentir à Chicago. Pour ceux qui auraient le malheur de vouloir s’installer ailleurs, les bombes incendiaires sur leur maison servent de piqûres de rappel. Tout comme les émeutes raciales de 1919 qui s’inscrivent dans le contexte national du Red Summer. Difficile d’ériger le basketball en priorité dans ces conditions. En attendant que d’autres équipes prennent le relais.

Source : The Black Fives – The Epic Story of Basketball’s Forgotten Era, Claude Johnson

Source image Wabash Avenue YMCA, Chicago IL : Andrew Jameson, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons


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