Le Savoy Big Five, l’équipe à l’origine des Harlem Globetrotters
Le 20 août 2025 à 07:54 par David Carroz

Alors que Dick Hudson semble sur le point de perdre de l’influence au sein des Black Fives chicagoans et peut-être même son équipe – ou du moins son nom de Giles Post American Legion Five – il n’abandonne pas pour autant son ambition d’une formation professionnelle. Pour cela, il va savoir user de son réseau pour s’offrir un sponsor et une salle, donnant ainsi naissance au Savoy Big Five.
Il le savait, pour faire du blé et poursuivre son rêve de professionnalisme, deux composantes étaient nécessaires : la mise en place de tournées et un sponsor. Si la première partie du barnstorming a été réalisée en 1927, le Black Five est sur le point de perdre le soutien du Giles Post American Legion. Il faut donc trouver une alternative. Ce que Dick Hudson fait, en profitant d’un nouvel arrivé dans le game.
Dans le sillage de sa Renaissance, Harlem s’est doté de nombreuses salles de danses – les ballrooms – d’envergure qui peuvent aussi être utilisées pour le basketball. À Bronzeville, ces établissements sont moins nombreux, moins conséquents, ce qui explique que les Black Fives se tournent vers le Eighth Regiment Armory pour jouer. Mais pour Thanksgiving 1927, la donne change avec l’ouverture du Savoy Ballroom à South Side.
Dick Hudson, qui a toujours su faire jouer ses relations, est en contact avec le propriétaire Jay Faggen. Et il pousse pour que celui-ci devienne le sponsor de l’équipe. Persuadé que le basketball peut lui permettre de faire venir du monde dans son établissement, Faggen accepte. Les Savoy Bear Cats – ou Savoy Legionnaires, qui deviennent rapidement le Savoy Big Five – sont dans la place et disposent d’une salle toute neuve. Pour l’effectif, on tape plutôt dans du vieux, ou en tout cas dans du connu, puisque l’équipe poursuit avec la même base que celle du Giles Post American Legion Five. Le 3 janvier 1928, le Savoy Ballroom accueille pour la première fois son Black Five qui bat Howard University. Dick Hudson ferme la bouche du Chicago Defender.
Des débuts réussis qui se confirment tout au long de la saison 1927-28 avec des succès de prestige. Mais la défaite face aux Chicago Bruins, une équipe blanche professionnelle qui évolue en National Basketball League montre qu’il reste encore du chemin à parcourir le Savoy Big Five. Qu’il faut renforcer l’effectif et faire grossir le business. Sauf que des tensions – financières – au sein du Black Five aboutissent à son explosion. Les anciens de Wendell Phillips montent leur propre équipe dans le sillage de Tommy Brookins et deviennent les Original Chicago Globe Trotters. Oui, c’est bel et bien là que s’écrit la préface de l’histoire des Harlem Globetrotters. Mais le Savoy Big Five survit à cette rupture – ainsi qu’au départ de Dick Hudson – puisque la saison 1928-29 est bouclée sur un bilan de 33 victoires en 37 matchs avec cette fois-ci Al Monroe à la tête de l’équipe. Mieux, la formation s’offre le scalp des Chicago Bruins le 3 décembre 1928. Un succès qui pousse Jay Faggen à réclamer une place en NBL à la place des Bruins, puisque pour lui la meilleure équipe de Chicago doit représenter la ville au sein de cette compétition. Une remarque pleine de mesure et qui prend bien évidemment en compte la ségrégation qui sévit au sein des ligues professionnelles de basketball.
Sans atteindre une gloire immense – en dehors d’un vrai rayonnement à Chicago et dans l’Illinois, voire le Wisconsin voisin avec quelques tournées – le Savoy Big Five continue son petit bonhomme de chemin et voit même le retour de Dick Hudson aux affaires dans les années trente. Mais le Savoy Ballroom met fin à son soutien et il faut trouver quelqu’un d’autre pour apporter un peu de blé. Hudson se tourne alors vers Edward, George et McKissack Jones aka “The Fabulous Jones Boys”. Leur business ? Les loteries, pas toujours légales, pas toujours dans les règles de l’art. Mais comme ils utilisent leur pouvoir financier pour aider la communauté, ça passe crème.
Hudson choisit alors la stratégie offensive avec ces nouveaux moyens financiers. Le Savoy Big Five – renommé en Chicago Crusaders en décembre 1934 – tente de débaucher des joueurs des New York Rens, le meilleur Black Five de l’époque. En vain, mais cela n’empêche pas les Crusaders de disposer d’un effectif conséquent qui leur permet de cartonner : 114-15 pour leur première saison et 431-34 sur quatre ans. Ouais, ça joue beaucoup, et ça gagne très souvent. Mais l’affluence au Eighth Regiment Armory – de nouveau la salle pour l’équipe – n’affiche pas toujours complet. Il faut dire que la Grande Dépression redéfinit clairement les priorités pour la communauté afro-américaine, et les divertissements ne sont pas au sommet de la pile. Mais les descendants du Savoy Big Five ont le mérite de tenir le coup quand de nombreuses équipes disparaissent.
En 1939, les Crusaders assistent au World Professional Basketball Tournament – premier tournoi intégré regroupant des équipes professionnelles. Les Rens sont sacrés champions et la seule obsession de Dick Hudson est de pouvoir participer la saison suivante, non seulement pour espérer gagner et récupérer une petite somme, mais surtout pour bénéficier de l’exposition offerte par le tournoi – qui accessoirement se joue à Chicago. Mais les organisateurs ne voient pas d’un bon œil les magouilles des frères Jones donc préfèrent éviter d’avoir leur équipe dans les pattes. Et ils font bien puisque le justice décide de s’occuper de la gestion financière des Jones pour cause d’évasion fiscale. Coïncidence : parmi les forces de l’ordre ayant mis à jour les preuves nécessaires aux inculpations, un certain Kinzie Blueitt est en bonne place. Le frère de Virgil fait donc partie de ceux qui ont mené à la chute des Chicago Crusaders, l’équipe afro-américaine phare, moins de trois décennies après que son frangin ait offert les premiers frissons liés à la balle orange pour cette communauté.
Mais cela ne signifie pas la fin des Black Fives à Chicago, ni la perte de l’héritage du Savoy Big Five. Car si les Crusaders disparaissent, un autre descendant trace sa route et sort de l’anonymat. Les Globe Trotters ont bien changé et ils sont prêts à prendre le pouvoir.
Source : Spinning the Globe: The Rise, Fall, and Return to Greatness of the Harlem Globetrotters, Ben Green – The Black Fives – The Epic Story of Basketball’s Forgotten Era, Claude Johnson
Source illustration : Public domain, via Wikimedia Commons